La révolution du statut juridique d’influenceur : obligations et responsabilités en 2025

Le cadre réglementaire encadrant l’activité des influenceurs connaît une transformation majeure avec l’entrée en vigueur de la loi n°2024-317 du 15 janvier 2025. Cette réforme instaure un régime de responsabilité renforcé pour les créateurs de contenu exerçant une influence significative sur les plateformes numériques. Face à l’explosion des partenariats commerciaux et des litiges associés, le législateur français a choisi d’établir un statut juridique spécifique pour les influenceurs, avec des obligations précises concernant la transparence, la véracité des allégations promotionnelles et la protection des publics vulnérables. Cette évolution juridique répond aux préoccupations croissantes des consommateurs et aux recommandations de l’Autorité de Régulation de la Communication Numérique.

Le nouveau statut juridique des influenceurs : définition et champ d’application

La loi n°2024-317 établit pour la première fois une définition légale précise de l’influenceur comme « toute personne physique ou morale qui, à titre onéreux ou avec contrepartie en nature, mobilise son audience sur un service de communication au public en ligne pour communiquer sur des biens, services ou causes ». Cette définition s’accompagne d’un seuil quantitatif : sont considérés comme influenceurs les créateurs disposant d’une audience supérieure à 10 000 abonnés cumulés sur leurs plateformes principales.

Le texte distingue trois catégories d’influenceurs soumises à des régimes différenciés :

  • Les nano-influenceurs (10 000 à 100 000 abonnés) : soumis aux obligations de transparence mais bénéficiant d’un régime allégé
  • Les méso-influenceurs (100 000 à 1 million d’abonnés) : assujettis à l’ensemble des dispositions standard
  • Les macro-influenceurs (plus d’un million d’abonnés) : soumis à des obligations renforcées incluant des contrôles préalables

Le champ d’application matériel couvre l’ensemble des contenus promotionnels, qu’ils prennent la forme de publications sponsorisées explicites ou de contenus présentant un caractère promotionnel indirect. La jurisprudence récente (TGI Paris, 12 mars 2024, aff. n°2023/11429) a d’ailleurs consacré une interprétation extensive de la notion de contenu promotionnel, incluant les mentions spontanées de produits dès lors qu’elles s’inscrivent dans une relation commerciale régulière avec la marque.

Cette définition large s’accompagne d’une présomption de professionnalité pour les influenceurs dépassant les seuils définis, renversant ainsi la charge de la preuve en cas de litige. L’influenceur est désormais considéré comme un professionnel au sens du Code de la consommation, avec toutes les obligations afférentes à ce statut.

La territorialité de la loi s’étend aux influenceurs établis hors de France mais ciblant spécifiquement le public français, avec des critères précis établis par décret (langue utilisée, devise, extension de domaine, etc.). Cette extension extraterritoriale, inspirée du Règlement Général sur la Protection des Données, vise à éviter les stratégies de contournement et garantir une protection uniforme des consommateurs français.

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Obligations de transparence et règles de divulgation des partenariats

Le cadre juridique 2025 impose des exigences formelles strictes concernant l’identification des contenus promotionnels. La simple mention « en partenariat avec » ou l’utilisation du hashtag « #ad » ne suffit plus. Désormais, chaque contenu promotionnel doit comporter une mention standardisée « Contenu commercial rémunéré en partenariat avec [marque] », visible pendant toute la durée du contenu pour les formats vidéo et placée en début de publication pour les formats textuels.

La nature exacte de la contrepartie doit être divulguée, qu’il s’agisse d’une rémunération financière directe, d’avantages en nature, de commissions d’affiliation ou d’autres formes de rétribution. Le décret n°2025-118 du 3 février 2025 précise les modalités techniques de ces divulgations, notamment l’emplacement, la taille et la durée d’affichage selon les différentes plateformes.

Une innovation majeure concerne l’obligation de transparence sur les modifications d’image. Toute altération significative de l’apparence physique des personnes ou des produits présentés (filtres, retouches) doit être signalée par une mention visible. Cette disposition, inspirée de la législation norvégienne, vise à lutter contre les représentations trompeuses susceptibles d’affecter l’image corporelle des publics vulnérables.

Le régime de 2025 instaure une obligation d’archivage des contrats et communications avec les marques. Les influenceurs doivent conserver pendant trois ans l’ensemble des échanges relatifs à leurs partenariats commerciaux, y compris les briefs créatifs et instructions reçues. Cette exigence, inspirée des obligations des professionnels de la publicité, facilite les investigations en cas de litige.

L’articulation avec le droit des plateformes constitue un enjeu majeur. Si les règles internes des réseaux sociaux imposent des standards de divulgation, ceux-ci ne se substituent pas aux obligations légales françaises mais viennent les compléter. Le Conseil National de l’Influence Commerciale (CNIC), nouvel organisme créé par la loi, est chargé d’élaborer des lignes directrices sectorielles et de coordonner l’application de ces règles avec les politiques des plateformes numériques.

Responsabilité civile et pénale des influenceurs pour les contenus promotionnels

La réforme de 2025 clarifie le régime de responsabilité applicable aux influenceurs en établissant une distinction fondamentale entre leur responsabilité éditoriale générale et leur responsabilité spécifique en matière de contenus promotionnels. Pour ces derniers, l’influenceur est désormais considéré comme un professionnel de la communication commerciale, soumis aux mêmes obligations que les agences publicitaires.

Sur le plan civil, la loi instaure un régime de responsabilité solidaire entre l’influenceur et l’annonceur pour les dommages causés aux consommateurs. Cette solidarité s’applique notamment en cas de promotion de produits défectueux ou dangereux, ou de présentation trompeuse des caractéristiques du produit. L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 7 novembre 2024 (n°2024/08721) a confirmé cette approche en condamnant conjointement un influenceur beauté et une marque de cosmétiques pour des allégations non vérifiées concernant l’efficacité d’un sérum anti-âge.

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Le texte prévoit toutefois un mécanisme d’exonération partielle si l’influenceur démontre avoir mis en œuvre une diligence raisonnable dans la vérification des allégations relatives au produit. Cette diligence implique notamment de tester personnellement le produit pendant une durée suffisante et de demander des justificatifs scientifiques à l’annonceur pour les allégations techniques ou médicales.

Sur le plan pénal, la loi crée une infraction spécifique de tromperie aggravée pour les influenceurs, passible de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende lorsque la promotion trompeuse concerne des produits affectant la santé ou la sécurité des consommateurs. Le tribunal correctionnel de Lyon, dans un jugement du 14 mars 2025, a prononcé la première condamnation sur ce fondement contre un influenceur fitness ayant promu des compléments alimentaires contenant des substances non autorisées.

La question de la responsabilité transfrontalière est traitée par un mécanisme de coopération internationale. Les influenceurs établis hors de France mais ciblant le marché français peuvent être poursuivis devant les juridictions françaises, avec des mécanismes d’exécution des décisions facilités par les accords de coopération judiciaire. La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) a d’ailleurs mis en place une unité spéciale dédiée à la surveillance des influenceurs opérant depuis l’étranger.

Secteurs réglementés et produits à risque : un encadrement renforcé

Le cadre juridique 2025 instaure des restrictions sectorielles spécifiques pour certaines catégories de produits présentant des risques particuliers. Ces limitations s’inspirent des régimes existants pour la publicité traditionnelle, mais sont adaptées aux spécificités de l’influence commerciale sur les réseaux sociaux.

Dans le domaine financier, la promotion des actifs numériques (cryptomonnaies, NFT) et services d’investissement est soumise à autorisation préalable de l’Autorité des Marchés Financiers. Les influenceurs doivent désormais détenir une certification spécifique pour promouvoir ces produits, obtenue après une formation validée par l’AMF. Cette certification, renouvelable tous les deux ans, garantit leur compréhension des risques associés et des obligations d’information des consommateurs.

Pour les produits de santé et bien-être, la loi prohibe formellement la promotion de médicaments soumis à prescription et restreint sévèrement celle des dispositifs médicaux. Les compléments alimentaires peuvent être promus uniquement si l’influenceur présente clairement les avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) relatifs aux ingrédients concernés. La jurisprudence récente (CA Bordeaux, 18 janvier 2025, n°2024/03517) sanctionne lourdement les allégations thérapeutiques non autorisées.

Concernant les produits cosmétiques, les influenceurs doivent désormais mentionner explicitement si les résultats présentés sont obtenus dans des conditions d’utilisation différentes de celles recommandées par le fabricant. Ils sont tenus de divulguer toute intervention esthétique personnelle pouvant affecter la perception des résultats du produit promu.

La protection des mineurs fait l’objet d’une attention particulière. Les influenceurs dont l’audience comporte plus de 25% de mineurs (selon les métriques certifiées des plateformes) sont soumis à des restrictions supplémentaires concernant les horaires de diffusion et le contenu des promotions. Ils ne peuvent notamment pas promouvoir des produits alimentaires dépassant certains seuils nutritionnels (sucre, sel, graisses saturées) définis par décret, ni présenter des jeux d’argent ou produits alcoolisés, même indirectement.

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Le texte instaure un droit de regard préalable de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) pour les campagnes d’influence touchant ces secteurs sensibles. Cette procédure, inspirée du contrôle préalable des publicités télévisées, s’applique aux influenceurs dépassant le million d’abonnés et vise à prévenir les infractions avant diffusion des contenus. Une plateforme numérique dédiée permet de soumettre les projets de contenus et d’obtenir un avis dans un délai de 48 heures.

L’écosystème de contrôle et les sanctions applicables en 2025

La mise en œuvre effective du nouveau cadre juridique repose sur un dispositif institutionnel renforcé. Au centre de ce dispositif figure le Conseil National de l’Influence Commerciale (CNIC), organisme paritaire composé de représentants des pouvoirs publics, des plateformes, des annonceurs et des associations de consommateurs. Ce conseil dispose de prérogatives consultatives pour l’élaboration des textes d’application et joue un rôle de médiation dans les litiges entre influenceurs et marques.

La surveillance du marché est assurée conjointement par la DGCCRF et l’ARPP, avec une répartition des compétences selon la nature des infractions. Un système d’alerte rapide permet aux consommateurs de signaler directement les contenus suspects via une plateforme dédiée, « SignalInfluence ». Cette plateforme, opérationnelle depuis mars 2025, a déjà recueilli plus de 7 000 signalements, démontrant l’intérêt du public pour cette régulation.

Le régime de sanctions se caractérise par sa gradation et sa diversité. Les sanctions administratives peuvent atteindre 4% du chiffre d’affaires annuel de l’influenceur pour les infractions les plus graves aux obligations de transparence. Une innovation majeure réside dans la possibilité pour les autorités d’imposer la publication de contenus rectificatifs avec une audience garantie au moins égale à celle du contenu litigieux.

L’arsenal répressif inclut des sanctions accessoires dissuasives, notamment l’interdiction temporaire d’exercer une activité d’influence commerciale, pouvant aller jusqu’à cinq ans dans les cas les plus graves. Cette peine complémentaire a été prononcée pour la première fois par le tribunal judiciaire de Marseille le 22 avril 2025 contre un influenceur ayant récidivé dans la promotion de produits amincissants dangereux.

Le texte consacre un droit d’action collective permettant aux associations agréées de protection des consommateurs d’engager des actions en représentation conjointe des victimes. Cette procédure simplifiée facilite l’indemnisation des préjudices de masse caractéristiques des fraudes touchant les communautés d’abonnés. L’association UFC-Que Choisir a d’ailleurs initié en mai 2025 la première action collective contre un réseau d’influenceurs et une marque de produits minceur pour pratiques commerciales trompeuses.

La coordination internationale constitue un défi majeur pour l’efficacité du dispositif. Un réseau européen de régulateurs de l’influence commerciale a été créé en parallèle de la réforme française, permettant l’échange d’informations et l’exécution coordonnée des sanctions. Ce réseau, coordonné par la Commission européenne, anticipe l’adoption prochaine d’un règlement européen sur l’influence commerciale, dont le projet s’inspire largement des dispositions françaises de 2025.