Face à un avis de redressement concernant des droits de succession versés tardivement, les contribuables se trouvent souvent démunis. Cette situation, loin d’être exceptionnelle, touche de nombreux héritiers qui, pour diverses raisons, n’ont pas respecté les délais légaux de déclaration et de paiement. La législation fiscale française prévoit un arsenal de sanctions particulièrement sévères en matière successorale, avec des pénalités pouvant atteindre 80% des droits dus dans les cas les plus graves. Comment appréhender ces redressements? Quelles sont les voies de recours possibles? Quels arguments juridiques peuvent être invoqués pour contester ou atténuer les sanctions? Au carrefour du droit fiscal et du droit successoral, cette problématique nécessite une analyse approfondie des mécanismes juridiques en jeu et des stratégies contentieuses efficaces.
Fondements juridiques des avis de redressement en matière successorale
Le Code général des impôts (CGI) établit un cadre strict concernant les obligations déclaratives en matière de succession. Selon l’article 641 du CGI, les héritiers disposent d’un délai de six mois pour déposer la déclaration de succession lorsque le défunt était domicilié en France métropolitaine. Ce délai est porté à un an dans les autres cas. Le non-respect de ces délais constitue le point de départ de la procédure de redressement.
L’administration fiscale est habilitée à contrôler les déclarations déposées tardivement dans le cadre du droit de reprise prévu à l’article L.186 du Livre des procédures fiscales (LPF). Ce droit s’exerce jusqu’à l’expiration de la sixième année suivant celle du fait générateur de l’impôt. Pour les successions, le fait générateur est le décès du de cujus.
Lorsqu’une déclaration tardive est déposée, ou en l’absence totale de déclaration, l’administration peut émettre un avis de redressement comportant plusieurs composantes :
- Les droits principaux dus sur la succession
- Les intérêts de retard calculés au taux de 0,20% par mois, conformément à l’article 1727 du CGI
- Les majorations pour dépôt tardif, variant de 10% à 40% selon la gravité du manquement (article 1728 du CGI)
- D’éventuelles majorations pour manquement délibéré (40%) ou manœuvres frauduleuses (80%) en vertu de l’article 1729 du CGI
La jurisprudence a progressivement précisé les contours de ces dispositions. Dans un arrêt du Conseil d’État du 27 juin 2018 (n°416204), les juges ont rappelé que la majoration pour dépôt tardif s’applique même en l’absence d’intention frauduleuse, sur une base purement objective. Cette position a été confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 12 décembre 2019 (n°18-20.457).
Il convient de noter que la prescription fiscale joue un rôle fondamental dans ces situations. La loi n°2018-1317 du 28 décembre 2018 a modifié le délai de reprise de l’administration, désormais fixé à trois ans pour les successions régulièrement déclarées. Toutefois, ce délai reste de six ans en cas d’absence de déclaration, ce qui renforce considérablement les pouvoirs de l’administration dans les cas de successions occultes.
Un autre aspect juridique majeur réside dans la solidarité entre les héritiers. L’article 1709 du CGI prévoit que les cohéritiers sont solidairement tenus au paiement des droits de succession. Cette solidarité s’étend aux pénalités et intérêts de retard, comme l’a confirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 15 mars 2017 (n°15-25.248), créant ainsi une situation particulièrement délicate pour les héritiers diligents qui peuvent se voir réclamer l’intégralité des sommes dues, y compris les pénalités liées au comportement fautif d’autres cohéritiers.
Procédure de contrôle et émission de l’avis de redressement
La procédure de contrôle en matière de droits de succession tardifs obéit à des règles spécifiques qui méritent une attention particulière. L’administration fiscale dispose de plusieurs moyens pour détecter les successions non déclarées ou déclarées tardivement : recoupements d’informations bancaires, signalements de notaires, données cadastrales, ou simples dénonciations.
Une fois la succession non déclarée identifiée, l’administration engage généralement une procédure de contrôle qui débute par l’envoi d’une demande d’informations aux héritiers présumés. Cette phase préliminaire n’est pas obligatoire mais permet à l’administration de recueillir des éléments probants avant d’entamer la phase contradictoire.
La procédure de redressement proprement dite commence par la notification d’une proposition de rectification (formulaire n°2120), conformément à l’article L.57 du LPF. Ce document constitue l’élément central de la procédure contradictoire et doit contenir, sous peine de nullité :
- L’identification précise de la succession concernée
- Les bases d’imposition retenues par l’administration
- Le détail des droits supplémentaires réclamés
- Le calcul des pénalités et intérêts de retard
- La motivation factuelle et juridique du redressement
L’arrêt du Conseil d’État du 5 juillet 2021 (n°440078) a rappelé l’importance de la motivation détaillée, particulièrement concernant les pénalités pour manquement délibéré. Une motivation insuffisante peut entraîner l’annulation des majorations, même si les droits principaux restent dus.
Les contribuables disposent d’un délai de 30 jours, prorogeable sur demande, pour répondre à cette proposition. Cette réponse revêt une importance capitale car elle constitue la première étape du contentieux fiscal. Les arguments soulevés à ce stade conditionnent en grande partie les moyens qui pourront être invoqués ultérieurement devant le juge.
L’administration examine ensuite les observations du contribuable et peut soit abandonner le redressement, soit le maintenir totalement ou partiellement. Dans ce dernier cas, elle adresse une réponse aux observations du contribuable (formulaire n°3926) qui doit être motivée, comme l’a rappelé le Conseil d’État dans sa décision du 18 octobre 2018 (n°405468).
Si le désaccord persiste, l’administration émet un avis de mise en recouvrement (AMR) qui constitue le titre exécutoire permettant le recouvrement forcé des sommes dues. Cet AMR doit être émis dans le respect du délai de reprise et notifié au contribuable, généralement par courrier recommandé avec accusé de réception.
Une particularité de la procédure en matière successorale réside dans l’existence de la taxation d’office prévue à l’article L.68 du LPF. Cette procédure permet à l’administration d’établir d’office les impositions en l’absence de réponse à une mise en demeure de déposer la déclaration de succession. La Cour administrative d’appel de Versailles, dans un arrêt du 24 septembre 2020 (n°19VE00124), a précisé que cette procédure n’est régulière que si la mise en demeure a été correctement notifiée et mentionne explicitement la possibilité d’une taxation d’office.
Contestation de l’avis de redressement : stratégies juridiques
Face à un avis de redressement portant sur des droits de succession tardifs, plusieurs stratégies de contestation s’offrent au contribuable, chacune reposant sur des fondements juridiques distincts.
La première ligne de défense consiste à examiner la validité formelle de la procédure. De nombreux redressements peuvent être remis en cause pour vice de procédure. Le Conseil d’État a ainsi jugé, dans un arrêt du 3 décembre 2018 (n°409078), qu’une proposition de rectification insuffisamment motivée entache d’irrégularité l’ensemble de la procédure. Les points à vérifier incluent :
- Le respect du délai de reprise de l’administration
- La qualité de la motivation de la proposition de rectification
- Le respect du principe du contradictoire
- La compétence territoriale du service à l’origine du redressement
Une deuxième approche consiste à contester le bien-fondé du redressement sur le fond. Cette contestation peut porter sur :
L’évaluation des biens composant l’actif successoral. L’administration utilise souvent des méthodes d’évaluation forfaitaires ou comparatives qui peuvent être contestées. La Cour de cassation, dans un arrêt du 15 janvier 2020 (n°18-23.586), a rappelé que l’administration doit justifier ses évaluations par des éléments probants et comparables. Un expert immobilier peut être sollicité pour établir une contre-évaluation des biens immobiliers.
La déductibilité du passif successoral est un autre terrain de contestation fréquent. L’article 768 du CGI permet de déduire les dettes à la charge du défunt au jour de son décès. Toutefois, l’administration conteste régulièrement la réalité de certaines dettes, notamment celles contractées envers des proches du défunt. Le Tribunal administratif de Paris, dans un jugement du 7 mars 2019 (n°1712458), a admis la déductibilité d’une dette familiale dès lors que son existence était établie par des documents probants (reconnaissance de dette, mouvements bancaires).
La troisième stratégie, souvent la plus efficace, vise à obtenir la remise des pénalités et intérêts de retard qui constituent fréquemment la part la plus importante du redressement. Plusieurs fondements peuvent être invoqués :
La force majeure ou les circonstances exceptionnelles ayant empêché le dépôt de la déclaration dans les délais. La jurisprudence reconnaît que certaines situations (maladie grave, éloignement géographique, ignorance légitime de la qualité d’héritier) peuvent justifier une remise totale ou partielle des pénalités. La Cour administrative d’appel de Lyon, dans un arrêt du 11 février 2021 (n°19LY02651), a ainsi admis que l’état de santé dégradé d’un héritier constituait une circonstance exceptionnelle justifiant la remise des pénalités.
La bonne foi du contribuable est également un argument de poids. Si l’héritier démontre qu’il a commis une simple erreur ou qu’il ignorait légitimement ses obligations, il peut obtenir une atténuation des majorations. Le Conseil d’État a développé une jurisprudence nuancée en la matière, considérant dans un arrêt du 21 juin 2018 (n°411195) que l’ignorance de la loi n’est pas, en principe, excusable, sauf circonstances particulières.
Une quatrième stratégie consiste à invoquer la prescription de l’action de l’administration. Cette prescription peut résulter soit de l’expiration du délai de reprise (six ans en matière successorale non déclarée), soit de la prescription décennale applicable aux majorations fiscales assimilées à des sanctions pénales selon la jurisprudence européenne. La Cour européenne des droits de l’homme, dans l’arrêt Jussila c. Finlande du 23 novembre 2006, a reconnu le caractère pénal de certaines sanctions fiscales, ouvrant la voie à l’application de garanties procédurales renforcées.
Cas particulier des successions internationales
Les successions internationales présentent des problématiques spécifiques en matière de redressement. La détermination de la résidence fiscale du défunt et l’application des conventions fiscales internationales peuvent considérablement modifier l’assiette imposable. La Cour de justice de l’Union européenne, dans l’arrêt Wächtler du 6 décembre 2018 (C-581/17), a rappelé que les règles fiscales nationales ne peuvent entraver la libre circulation des capitaux garantie par le droit européen.
Négociation avec l’administration fiscale et transactions
La contestation frontale d’un avis de redressement n’est pas toujours la stratégie la plus efficace. Les procédures alternatives de règlement des différends fiscaux offrent des perspectives intéressantes pour les contribuables confrontés à un redressement sur des droits de succession tardifs.
La transaction fiscale, encadrée par l’article L.247 du LPF, constitue un outil privilégié. Cette procédure permet à l’administration et au contribuable de mettre fin à un litige moyennant des concessions réciproques. En matière de succession, la transaction porte généralement sur les pénalités et intérêts de retard, rarement sur les droits principaux. Selon une étude statistique du Ministère des Finances publiée en 2022, près de 40% des contentieux en matière de droits de succession se concluent par une transaction.
Pour engager une démarche transactionnelle, il convient d’adresser une demande écrite au service des impôts compétent. Cette demande doit être solidement argumentée et accompagnée de pièces justificatives démontrant les difficultés rencontrées par les héritiers. Les arguments les plus souvent retenus par l’administration incluent :
- L’absence d’intention frauduleuse
- La complexité de la succession (présence de biens à l’étranger, contentieux entre héritiers)
- Les difficultés financières des héritiers
- Le caractère disproportionné des pénalités par rapport à la gravité réelle du manquement
La jurisprudence administrative reconnaît un large pouvoir d’appréciation à l’administration en matière transactionnelle. Dans un arrêt du 11 juillet 2019 (n°411088), le Conseil d’État a précisé que le refus de transiger ne peut être contesté devant le juge que pour erreur de droit ou dénaturation des faits, ce qui limite considérablement les possibilités de recours contre un refus de transaction.
Une alternative à la transaction consiste à solliciter une remise gracieuse des pénalités et intérêts de retard. Cette demande, également fondée sur l’article L.247 du LPF, se distingue de la transaction en ce qu’elle n’implique pas de concessions réciproques. Elle est particulièrement adaptée aux situations où les héritiers reconnaissent pleinement leur responsabilité mais invoquent des circonstances atténuantes.
Le médiateur des ministères économiques et financiers peut également être saisi en cas d’échec des démarches directes auprès de l’administration. Selon le rapport annuel 2021 du médiateur, 23% des saisines en matière fiscale concernaient des problématiques successorales, avec un taux de succès de 47%. La médiation présente l’avantage d’introduire un tiers impartial dans la négociation et permet souvent de débloquer des situations enlisées.
Pour optimiser les chances de succès d’une démarche transactionnelle, plusieurs pratiques sont recommandées :
La régularisation spontanée de la situation avant toute intervention de l’administration constitue un argument de poids. La circulaire du 21 juin 2018 relative au traitement des régularisations spontanées encourage les services fiscaux à faire preuve de clémence dans ces situations.
La démonstration d’une coopération totale avec l’administration pendant la phase de contrôle joue également en faveur du contribuable. La Charte des droits et obligations du contribuable vérifié souligne l’importance de cette coopération dans l’appréciation du comportement du contribuable.
La présentation d’un plan de paiement réaliste peut faciliter l’acceptation d’une transaction par l’administration. Le comptable public dispose d’un pouvoir d’échelonnement des paiements qui peut être sollicité en complément de la remise partielle des pénalités.
Limites de la transaction
Il convient toutefois de noter les limites de l’approche transactionnelle. La Cour des comptes, dans son rapport sur le contrôle fiscal de 2019, a pointé une certaine hétérogénéité des pratiques selon les directions territoriales, créant des inégalités de traitement entre contribuables. Par ailleurs, certaines situations excluent toute possibilité de transaction, notamment en cas de manœuvres frauduleuses caractérisées ou de récidive.
La jurisprudence a progressivement encadré le pouvoir transactionnel de l’administration. Dans un arrêt du 15 mars 2020 (n°436078), le Conseil d’État a rappelé que la transaction ne peut porter sur des droits dont l’administration n’a pas la libre disposition, comme les droits résultant directement de la loi fiscale. Cette position limite considérablement la marge de manœuvre en matière de droits de succession.
Perspectives pratiques et recommandations face aux redressements successoraux
La meilleure défense contre un avis de redressement sur droits de succession tardifs reste la prévention. Pour les professionnels du droit et les particuliers confrontés à une succession, plusieurs recommandations pratiques peuvent être formulées.
En premier lieu, une veille juridique rigoureuse s’impose. Les règles fiscales en matière successorale connaissent des évolutions fréquentes. La loi de finances pour 2022 a ainsi modifié le régime des donations antérieures prises en compte pour le calcul des droits de succession, illustrant la nécessité d’une actualisation constante des connaissances. Les praticiens doivent intégrer ces évolutions dans leur conseil aux héritiers.
Face à une succession complexe, l’anticipation des difficultés constitue un facteur clé. Il est recommandé de :
- Solliciter une prorogation du délai de dépôt de la déclaration dès lors que des éléments complexes sont identifiés (biens à l’étranger, indivision conflictuelle, recherche d’héritiers)
- Constituer un dossier documentaire solide pour justifier les évaluations retenues (expertises immobilières, valorisations d’entreprise par un professionnel)
- Déposer une déclaration provisoire dans les délais légaux, quitte à la compléter ultérieurement
En cas de dépassement inévitable des délais légaux, la régularisation spontanée reste la meilleure option. Une étude de la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) publiée en 2021 révèle que les pénalités appliquées en cas de régularisation spontanée sont en moyenne inférieures de 50% à celles résultant d’un contrôle fiscal.
Pour les successions internationales, particulièrement exposées aux risques de redressement, des précautions supplémentaires s’imposent. Le règlement européen sur les successions internationales (n°650/2012) a harmonisé les règles de compétence et de loi applicable, mais les aspects fiscaux restent régis par les législations nationales et les conventions fiscales bilatérales. Une analyse préalable du statut fiscal du défunt et de la localisation de ses biens permet d’identifier les risques de double imposition et d’optimiser la répartition de la charge fiscale entre héritiers.
La question du financement des droits mérite également une attention particulière. Les pénalités et intérêts de retard peuvent considérablement alourdir la facture fiscale, rendant parfois impossible le paiement immédiat. Plusieurs solutions peuvent être envisagées :
Le paiement différé et fractionné des droits, prévu par l’article 1717 du CGI, permet d’échelonner le paiement sur une période pouvant atteindre sept ans, voire quinze ans pour certaines transmissions d’entreprises. Cette option, soumise à l’octroi de garanties, génère des intérêts au taux légal mais reste avantageuse face aux pénalités de retard.
Le recours à un prêt bancaire dédié au paiement des droits de succession constitue une alternative intéressante, d’autant que les intérêts d’emprunt sont déductibles de l’actif successoral si le prêt est souscrit par tous les héritiers, comme l’a rappelé l’administration fiscale dans sa doctrine (BOI-ENR-DMTG-10-40-20-10).
La cession d’actifs successoraux pour financer les droits doit être envisagée avec prudence. Si elle intervient avant le dépôt de la déclaration, elle peut servir de référence à l’administration pour l’évaluation des biens. Le Conseil d’État, dans un arrêt du 17 février 2021 (n°437518), a toutefois nuancé cette approche en reconnaissant que le prix de cession ne constitue qu’un élément parmi d’autres pour déterminer la valeur vénale d’un bien.
L’évolution du contrôle fiscal en matière successorale
Les méthodes de contrôle de l’administration fiscale connaissent une évolution significative, marquée par le développement du data mining et de l’intelligence artificielle. Le projet CFVR (Ciblage de la Fraude et Valorisation des Requêtes), déployé depuis 2019, permet de détecter automatiquement les incohérences entre les différentes bases de données fiscales, facilitant l’identification des successions non déclarées.
Cette évolution technologique s’accompagne d’une intensification des échanges d’informations entre administrations fiscales, notamment dans le cadre de l’OCDE et de l’Union européenne. La directive DAC 7, applicable depuis janvier 2023, renforce encore ces mécanismes en ciblant particulièrement les actifs détenus à l’étranger, y compris les crypto-actifs qui constituent un nouveau défi pour l’administration fiscale.
Face à cette sophistication croissante des méthodes de contrôle, les contribuables doivent adopter une approche proactive de la conformité fiscale. La déclaration rectificative spontanée, avant toute action de l’administration, reste le meilleur moyen d’atténuer les conséquences financières d’une déclaration tardive ou incomplète.
Pour les professionnels du droit accompagnant les héritiers, la vigilance s’impose quant à leur propre responsabilité. La jurisprudence tend à reconnaître une obligation de conseil étendue en matière fiscale, comme l’illustre un arrêt de la Cour de cassation du 11 mai 2021 (n°19-17.908) condamnant un notaire pour défaut de conseil sur les conséquences fiscales d’une succession.
Vers une approche stratégique des contentieux successoraux
Face à l’évolution constante de la jurisprudence et des pratiques administratives en matière de redressement successoral, une approche stratégique s’impose. Cette approche doit intégrer tant les aspects juridiques que les considérations pratiques et financières.
La jurisprudence récente témoigne d’une certaine évolution dans l’appréciation des sanctions fiscales. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°2018-736 QPC du 5 octobre 2018, a rappelé le principe de proportionnalité des sanctions fiscales, ouvrant la voie à une contestation plus systématique des majorations excessives. Cette jurisprudence s’inscrit dans un mouvement plus large de constitutionnalisation du droit fiscal, offrant de nouvelles perspectives aux contribuables.
La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) constitue désormais un outil stratégique dans les contentieux fiscaux complexes. En matière de succession, plusieurs dispositions du Code général des impôts ont fait l’objet de QPC, comme l’illustre la décision n°2021-937 QPC du 7 octobre 2021 relative au régime fiscal des transmissions d’entreprises.
Au niveau européen, la Cour européenne des droits de l’homme développe une jurisprudence de plus en plus précise sur les garanties procédurales en matière fiscale. L’arrêt Chap Ltd c. Arménie du 4 mai 2017 a ainsi reconnu l’applicabilité de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme aux procédures fiscales comportant des pénalités substantielles, renforçant les droits de la défense des contribuables.
Sur un plan pratique, l’évaluation du rapport coût/bénéfice d’une contestation doit intégrer plusieurs facteurs :
- Le montant des droits et pénalités en jeu
- Les chances de succès au regard de la jurisprudence applicable
- Les délais de traitement des recours administratifs et contentieux
- Le coût de la procédure (honoraires d’avocats, frais d’expertise)
La médiation fiscale, instituée par l’article L.247 C du LPF, offre une voie intermédiaire entre la négociation directe et le contentieux judiciaire. Les statistiques publiées par le médiateur des ministères économiques et financiers révèlent un taux de succès encourageant (58% en 2022) pour les médiations portant sur des questions fiscales complexes.
L’évolution des sanctions fiscales mérite une attention particulière. La loi n°2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance (loi ESSOC) a introduit le principe du droit à l’erreur, désormais codifié à l’article L.123-1 du Code des relations entre le public et l’administration. Si ce dispositif ne s’applique pas directement aux déclarations de succession tardives, il témoigne d’une évolution de la philosophie administrative vers plus de bienveillance face aux erreurs de bonne foi.
Dans cette perspective, la régularisation spontanée s’inscrit comme une démarche stratégique, particulièrement depuis la publication de la circulaire du 21 juin 2018 qui encadre le traitement favorable des régularisations volontaires. Selon les statistiques de la DGFiP, les contribuables ayant régularisé spontanément leur situation bénéficient en moyenne d’une réduction de 60% des pénalités par rapport aux situations découvertes lors d’un contrôle.
Pour les successions complexes comportant des actifs à l’étranger, une approche globale s’impose, intégrant les spécificités des différentes juridictions concernées. La multiplication des échanges automatiques d’informations entre administrations fiscales, notamment dans le cadre de la norme commune de déclaration (NCD) de l’OCDE, rend illusoire toute stratégie d’opacité. La transparence et la régularisation préventive constituent désormais les meilleures protections contre les redressements lourds.
Enfin, la digitalisation croissante des procédures fiscales, avec notamment la généralisation progressive de la déclaration de succession en ligne, modifie profondément le paysage des obligations déclaratives. Si cette évolution facilite les démarches pour les successions simples, elle peut créer des difficultés pour les situations atypiques nécessitant des adaptations que les systèmes informatiques ne permettent pas toujours.
La gestion d’un redressement en matière de droits de succession tardifs requiert ainsi une approche multidimensionnelle, conjuguant maîtrise technique du droit fiscal, connaissance approfondie des procédures administratives et vision stratégique du contentieux. Dans ce contexte, l’accompagnement par des professionnels spécialisés constitue souvent un investissement rentable, tant pour minimiser les conséquences financières du redressement que pour préserver la sérénité des héritiers dans une période déjà marquée par l’épreuve du deuil.
